Des épices pour l’automne

Sylvie Mireault, naturopathe-herboriste

Que pouvait donc chercher le roi François Ier en envoyant Jacques Cartier en Inde, en 1534 ? La réponse peut surprendre, mais on avait d’abord besoin de poivre, cette précieuse denrée stimulante et antiseptique étant en pénurie à l’époque. Quelques espèces du sud asiatique, comme le gingembre, la cannelle et surtout le poivre, ont dicté l’orientation des échanges à grande échelle. Le commerce des épices devient une source de contacts directs entre des peuples et des cultures très éloignés…

Au Moyen-Âge, ce sont les femmes qui vendaient les épices, c’étaient donc des épicières, d’où vient le nom d’épicerie, un métier lucratif… Tout bascule en 1453, lorsque les Turcs s’emparent de Constantinople, barrant ainsi la route vers l’Extrême-Orient. Il fallait trouver une autre route pour poursuivre le nécessaire et très profitable commerce des épices. La nouvelle voie navigable pour rejoindre l’Inde devait par conséquent se trouver à l’ouest. La quête des épices constitue ainsi l’une des racines de l’expansion européenne et a ouvert la voie au colonialisme et aux empires mondiaux. Elle déclenche une période de domination de l’Orient par le Portugal d’abord, puis par les Pays-Bas, l’Angleterre et la France, qui confient cette tâche aux différentes compagnies des Indes. L’intérêt pour les épices diminue à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle. Elles sont remplacées par de nouvelles denrées coloniales, comme le sucre, le café et le tabac. Il semblerait qu’une fois levé le voile du mystère et la magie qui entouraient leur nature et leurs origines, les épices ont cessé d’émerveiller le monde. Sel et poivre restent cependant toujours intégrés à notre vie quotidienne.

C’est incontestablement l’Inde qui possède encore le plus grand nombre de mélange d’épices, les masalas, qui donnent le caractère si particulier aux plats locaux. Ils peuvent être très forts (chili, girofle) ou aromatiques (macis, cannelle, cardamone). Tant qu’aux épices chinoises, 5 d’entre-elles sont traditionnelles : le poivre du Sichuan, le fenouil, le clou de girofle, la casse et l’anis étoilé. Quelque soit le mélange que l’on veut utiliser, les épices fraîchement moulues ont plus d’arômes que les poudres que l’on garde depuis un certain temps…

Poivrier Piper nigrum

Un Garam masala peut être composé de cardamone (sans la gousse), de bâtons de cannelle, de grains de poivre, de cumin, de coriandre, de noix de muscade et de clou de girofle. Une fois grillées et refroidies, on réduit en poudre les épices pour les conserver dans un récipient hermétique.

Une poudre de Cari peut contenir: des graines de coriandre, de cumin, de cardamone et de fenugrec, du poivre de cayenne, du poivre noir, de la poudre de gingembre et de curcuma…

Pour nous tenir au chaud pendant que le froid commence à s’installer, ou pour recevoir chaleureusement nos convives comme à Mumbai, voici une recette de thé massala (pour 6 c. à soupe) : sortir les graines de 12 gousses de cardamone et les réduire en poudre avec 1 c. à s. de poivre noir en grains et 6 clous de girofle. Mélangez avec 2 c. à s. de gingembre moulu. Ajoutez-en une demie c. à thé dans la théière avant de servir.

On peut servir un thé aromatique (plus doux) en faisant bouillir l’eau avec un bâton de cannelle et 12 graines de cardamone. On retire du feu et on laisse infuser 10 minutes. On ajoute le thé avec du lait (chaud) et du sucre si désiré.

Voici certains usages médicinaux de quelques épices :

Le Clou de girofle : comme antispasmodique, il soulage les ballonnements et les coliques. Comme antiseptique, il traite certaines affections virales et comme analgésique, on l’utilise contre les maux de dents et les rhumatismes (en externe). On s’en sert aussi comme stimulant physique et intellectuel en cas de fatigue et de perte de mémoire.

L’écorce de Cannelier : tonique antispasmodique, traite la fatigue légère de même que les gastrites et les troubles de digestion (états nauséeux, éructations, flatulences, ballonnements). Avec le gingembre, la cannelle stimule la circulation et réchauffe l’organisme en cas de refroidissement.

Le Gingembre : est un antinauséeux très efficace contre le mal des transports et a un effet positif en cas d’insuffisance biliaire et pancréatique. Ses phénols en font un antiseptique utilisé en Chine pour soigner la dysenterie bacillaire. Le gingembre améliore la circulation sanguine, mais peut élever temporairement la tension artérielle. On l’utilise en cas de refroidissement, de rhume ou de grippe…

Le Curcuma : les curcumines extraites du rhizome du curcuma agissent comme des anti-inflammatoires puissants dans le traitement des douleurs articulaires. Des recherches tendent à démontrer ses qualités anticancéreuses. Toutefois, il faut savoir que le curcuma peut être mixé avec une autre poudre de même couleur, le chromate de plomb, utilisé illégalement pour le colorer, mais cancérigène ; il est donc recommandé d’opter pour un curcuma biologique. On l’utilise le plus souvent en poudre ou en teinture, notamment en cas d’acidité gastrique et de troubles de la digestion d’origine hépato-biliaire.

Les graines de Carvi-Fenouil-Anis vert : traitent des troubles digestifs fonctionnels et les spasmes abdominaux, tels que les douleurs gastriques, les ballonnements, les flatulences et les infections intestinales. On prépare l’infusion en mélangeant à part égales les 3 plantes ; on verse 1 c. à thé du mélange dans 250 ml d’eau bouillante et on laisse infuser 5 minutes. On boit cette préparation en 2 ou 3 fois avant les repas.

Le Poivre : grâce à sa teneur en pipérine, un alcaloïde, le poivre est un catalyseur, qui renforce l’action de nombreuses substances (remèdes à base de plantes, épices, notamment le curcuma, et certains médicaments,) les rendant plus efficaces.

On infuse pendant 5 minutes, 3 grains de poivre avec de la menthe dans 150 ml d’eau bouillie préalablement.

Et pour revenir à sa légendaire histoire, cette indispensable denrée fut de loin la principale épice marchande jusqu’au XVIIIe siècle. Le lyonnais, Pierre Poivre (1719-1786), au nom prédestiné, se rend en Chine à l’âge de 21 ans, ramène et acclimate poivriers et canneliers sur l’Ile de France, aujourd’hui nommée l’Ile Maurice. Pour mettre fin au monopole néerlandais, il réussira 10 ans plus tard, au péril de sa vie, à organiser des plantations de deux autres précieuses épices : les muscadiers et les girofliers…

Curcuma Curcuma longa

Puis, s’installent en Europe, de nouvelles sensibilités culinaires : le pain remplacera peu à peu la viande, qui nécessitait l’usage d’épices antiseptiques, comme le clou de girofle et le poivre. Les condiments (câpres, olives…) et les aromates locaux (romarin, thym, laurier) réduiront drastiquement l’usage des épices exotiques. Le sucre, la vogue des pâtisseries et l’intensification de l’usage du café, notamment dans les commerces nommés justement Cafés, restent toujours très populaires.

Tant qu’aux vertus thérapeutiques des épices, elles sont souvent oubliées. Pourtant les épices demeurent de très précieuses alliées. Les épices chaudes, comme le poivre, le cumin, la cayenne, le clou de girofle, nous réchauffent et nous stimulent par ces temps gris et froids. Les épices aromatiques, comme la cardamone, la coriandre, l’aneth, la badiane, traitent en douceur les troubles digestifs fonctionnels, fréquents pendant les changements de saison.

Assurons-nous de choisir des épices de qualité (biologiques si possible) et de bien les conserver (à l’abri de la lumière et de l’air).

Après les couleurs de l’automne, les saveurs des épices sauront nous réconforter…

@ L’Académie HerbHoliste 2022